ÉTAT DE GRÂCE

 

« Les monolithes font ici figure d’anormaux.
Aujourd’hui, à la charnière de deux époques, bénéficier tant qu’elle demeure vive de la dynamique de la transformation ».
Serge BRAMLY, Le voyage de Shanghai, Paris, Grasset, 2005, p.345

    Merci aux Résistants et autres Justes d’avoir fait de nos villes françaises telles que Grenoble des acteurs majeurs de la victoire contre le totalitarisme. Merci au maire Michel Destot et à la ville de Grenoble d’avoir demandé plus de 60 ans après à un artiste comme Alain Kirili d’en immortaliser la mémoire. Merci à Alain Kirili d’avoir fait confiance à une Ecole d’enseignement supérieur pour accompagner sa démarche. Merci à des collègues Ada Ackerman et David Gauthier et des jeunes de l’Ecole Normale Supérieure de Lyon – Ariane, Jennifer, Jérémie, Karim, Morgane, Paul- de s’être mis à l’unisson du travail de l’artiste. Merci qu’une chaine se soit ainsi créée faite d’engagements, de messages, de traces. Merci surtout à toutes et à tous d’avoir fait et dit.

    Désormais la Résistance est incarnée à jamais en terre grenobloise. Résistance contre l’occupant nazi mais résistance de manière plus large ou globale à toute forme d’oppression. Alain Kirili poursuivra son travail sur le refus absolu du totalitarisme hitlérien en terre normande à l’automne de cette année mais en attendant il a posé un monument au cœur des Alpes depuis février dernier. Son geste de résistance est à présent relayé par une exposition qui s’ouvre dans le hall d’honneur de la Mairie de Grenoble, exposition qui sera fructueusement relayée par ce catalogue et par un site web. L’ENS de Lyon s’est immédiatement retrouvée dans la célébration de la mémoire de faits de guerre parmi les plus exemplaires, comme elle l’avait fait les dernières années en disséquant le vingtième anniversaire de la première condamnation du crime contre l’humanité ou en analysant l’histoire franco-algérienne récente. 

    Si notre Ecole a été très sensible à la collaboration si riche de sens avec la mairie de Grenoble, c’est qu’il s’agissait avant tout de s’associer à un processus créatif mobilisateur. Une classe de maître financée par la région Rhône-Alpes a permis de prendre conscience que l’érection d’une sculpture n’est pas un acte isolé mais bien une prise de risque inscrite dans un continuum, un événement marqué de l’effet du hasard. Aux antipodes d’un monolithe dépourvu de signification, la sculpture d’Alain Kirili en ressort étonnamment vivante. Façonnée par la spontanéité, éclaboussant d’érotisme, érigée au rang de talisman, Résistance est un appel à la réflexion, à l’expression, à la manifestation.

    Des élèves et étudiants se sont donc mis en quête des traces de l’événement : des photographies aux films, de l’écriture à la captation sonore. Ils ont recréé la sensualité d’une sculpture mise à nue, que l’on a plaisir à toucher voire à étreindre. Ils en ont dressé de faux rapports officiels, tout en en décryptant les résonances, les rythmes, les retentissements. Les lettres, les mots deviennent sculpture tant la sculpture s’est faite langage. Des collages traduisent les blocs. Résistance est tout cela et beaucoup d’autre chose à la fois. Résistance est ce n’est pas le moindre de ses mérites casse les clivages-clichés. L’ouvrier devient ainsi artiste en manipulant les pierres, en actionnant des chaînes réelles et fictionnelles, faisant si bien que jamais des réalités aussi lourdes n’ont semblé si légères. Mais surtout, le monde minéral apparaît nourri d’une extraordinaire vitalité : les pierres vives vivent.     

    Création comme un acte de résistance, en inscrivant une fonction de veille sur ce qui ne peut pas être admis et sur ce qu’il faut surtout condamner voire pourchasser. La mémoire s’impose en définitive comme porteuse de sens. Il faut bien sûr écouter les leçons de la sculpture, celle de son créateur, celle de l’ensemble du moment Résistance. Faisons nôtres à jamais les propositions d’Alain Kirili. Transformons le nécessaire devoir d’indignation, utilement rappelé il y a peu de temps, pour lui donner un formidable pendant d’"exigence d’optimisme inaltérable", de "désir de culture", d’"extase sculptée". Les ondes cristallisées lors de la pose de Résistance doivent se renouveler à chaque instant d’une nouvelle découverte car nous devons y retrouver l’énergie puissante qui animait l’esprit de ceux qui au milieu du XXe siècle n’ont pas hésité à braver la mort pour que nous puissions être un jour pleinement vivants.

 

Olivier FARON
Directeur général
ENS de Lyon